lundi 30 juin 2014

Au pays des culottes courtes !!

La question de s'arrêter aux Bermudes s'est posée lorsque nous avons envisagé la transat retour.
Il est tout à fait possible de naviguer directement des Caraïbes jusqu'aux Açores sans escale. Mais plusieurs arguments ont pesé dans la balance.
Premièrement, même en transat directe, la route à suivre emmène la plupart des bateaux à 150/200 miles des côtes bermudiennes.
Deuxièmement, cela permet de réaliser la traversée en 2 étapes.
Troisièmement, dans notre cas, nous pourrons faire une mise à jour météo sur le logiciel, ce qui nous laissera un battement de quelques jours sans prévisions avant d'atteindre les Açores.
Enfin (et pas des moindres), le Cap'tain a un vieil ami bermudien retourné au pays et installé avec sa femme depuis 10 ans. Une façon sympathique de découvrir l'île avec un local et de retrouver un Ami !!

La traversée de Saint-Martin vers les Bermudes est déjà un doux souvenir. Nous avons relié les 860 miles en moins de 6 jours. La mer des Sargasses apparemment connue pour ses grands calmes a laissé pénétrer les Alyzées au delà du 38ème parallèle - phénomène rare - nous permettant de limiter le ronron du moteur à seulement quelques heures. 

Beau ciel de traîne en route vers les Bermudes

Coucher de soleil magnifique sur la mer des Sargasses... 

... plusieurs soirs durant !


La mer est restée plate, le vent a soufflé ses 15 noeuds constamment, nous offrant des moments propices à la pêche. La première prise fût un barracuda. N'étant malheureusement pas sûr de la contamination par la ciguatera sur ce spécimen, les Caraïbes étant encore toutes proches, c'est un peu à contre coeur que nous avons rejeté ce dîner qui faisait déjà saliver nos papilles.

Première prise : suspectée de ciguatera

Le lendemain, nous avons remis la ligne à l'eau malgré les algues traînant à la surface se faisant toujours plus nombreuses depuis le début de notre progression. Cette fois-ci, c'est une magnifique coryphène qui a croché. Certainement, la plus belle que nous ayons pêchée jusqu'à présent.

Deuxième prise : une force de la nature

Là encore, nous allons jouer de malchance. Nous réussissons à la remonter à bord. Le Cap'tain l'endort avec un fond d'alcool afin que nous puissions opérer sereinement. Les photos sont prises pour les souvenirs. Mais alors que nous la croyions complètement asphyxiée après plus de 10 minutes au soleil avec une dose d'ouzo dans les branchies, la voilà qui se met à remuer comme au premier jour. Il ne lui a pas fallu plus de quelques secondes pour se mouvoir allègrement jusqu'au bord du bateau et repartir dans les ondes profondes de l'océan. L'équipage n'a pas eu le temps de réagir et pour la seconde fois restera sur sa "faim". Espérons seulement que cette pauvre dorade aura pu reprendre ses esprits car même si elle trouva l'énergie pour repartir à l'eau, le sillon qu'elle traça derrière elle fut loin d'être rectiligne.... certainement sa première "gueule de bois" !!!
A partir de là, nous renoncerons à la pêche pour le reste de la traversée. Deux déceptions, et surtout, la quantité d'algues s'accrochant à notre appât, nous enlèveront toute envie de poursuivre cette expérience dans les Sargasses.

C'est aux premières lueurs du cinquième jour que nous apercevons la terre.
Les autorités maritimes des Bermudes contactent en amont (à 70 miles des côtes quand même) tous les bateaux qui pénètrent dans leurs eaux. Nous ne dérogeons pas à la règle, nous faisant même rappeler à l'ordre comme d'autres bateaux à l'approche : il n'est pas rare pour les voiliers de couper leur VHF quand il n'y a pas de danger imminent. Cela permet d'économiser un minimum d'énergie.
Une fois le chenal suivit et la passe de Saint-George pénétrée, Avocet est tenu de se mettre directement à quai devant le poste d'immigration pour une déclaration d'entrée en bonne et due forme.
Heureusement, nous arrivons dans les premiers car une seule place est disponible.
La queue a vite fait de se faire derrière nous. Ce sera d'ailleurs la même procédure pour le départ, les équipages ne pouvant malheureusement pas venir faire les formalités à l'aide du dinghy (?! première fois que cela nous arrive !!).

Au mouillage de Saint-George

Magnifique coucher de soleil sur le port

Cet archipel - plus de 200 îles répertoriées en comptant certainement les micro rochers qui ont poussé ça et là au milieu de l'atoll - nous a offert une belle escale pendant presque une semaine. 65 000 personnes peuplent ce petit pays.
Même si tout le monde ne se connaît pas, la petite surface de l'île et l'éloignement de toute autre terre renforcent certainement l'esprit de convivialité, d'entre aide et de savoir-vivre.
Les Bermudiens se disent bonjour, se saluent même sans se connaître. Il règne une atmosphère paisible surtout du côté de Saint-George à l'extrémité est de l'île, qui nous a servi de repaire pendant notre court séjour.

Saint-George depuis les hauteurs

Le tour de l'île se fait très facilement en bus et par ferry. C'est ainsi que nous avons rejoint la côte ouest sur un catamaran à passagers ultra-rapide. 25 noeuds de moyenne… ça décoiffe. 
Nous accostons au Royal Naval Dockyard, un haut lieu de tourisme. Les Bermudiens en sont très fiers mais ce fût loin d'être notre tasse de thé !
Les paquebots américains provenant de New-York, Baltimore et Boston y déversent près de 4000 passagers chacun. Le jour de notre visite, deux de ces hôtels flottants étaient amarrés à quai. Sans avoir encore mis le pied à terre, nous savions déjà que la balade serait écourtée.

Certes, les monuments historiques qui jalonnent ce petit paradis commercial sont bien préservés mais les guichets installés à l'entrée de chaque porte ou pont-levis ne nous donnent pas l'envie d'aller plus loin. La plage, le fort ou le musée cachés derrière sont envahis par des centaines de touristes américains et l'idée de se retrouver au milieu nous en donne des frissons d'angoisse.


Arrivée au Dockyard

Un troll au milieu du centre commercial... why not !

Le fameux "Frog & Onion Pub" dans les vieux murs du fort

Belle conservation du patrimoine 

Nous attrapons donc rapidement le premier bus en partance pour Hamilton - la capitale - dont l'itinéraire passe également par les plages du Sud de l'île.
Un stop le long de cette magnifique côte nous a permis de reprendre nos esprits et de nous enivrer de la brise marine soufflant dans ces endroits magiques.
Les Caraïbes offrent très souvent des paysages paradisiaques surtout quant il s'agit de longues plages de sable blanc. Nous pensions sans être complètement blasés, avoir vu assez de ces images insulaires pour nous contenter l'esprit sur les dix prochaines années… mais les Bermudes n'ont rien à envier à leurs voisines. 
Le tableau se dévoilant sous nos yeux nous en perçait presque les rétines. Le contraste de couleurs est vraiment saisissant dû certainement à la qualité de l'air sous ces latitudes. L'intensité du turquoise, la pureté du blanc, la noirceur des rochers vous envoûtent. Nous sommes restés ainsi un moment à traîner nos pieds dans le sable sans décoller nos yeux des cartes postales offertes si généreusement par la nature.







Les pieds dans le sable fin... un pur bonheur !



Dark and Stormy : cocktail typique des Bermudes à base de rhum

La visite de l'île en bus permet également d'avoir une vue d'ensemble de manière confortable. On se rend très vite compte que l'homme a pleinement apposé son empreinte sur cet archipel. Le panorama du haut du phare de Gibb's Hill à 108 mètres au-dessus du niveau de la mer le montre bien. Il reste très peu d'espaces non construits. Pourtant en se promenant au milieu des lotissements et quartiers, nous n'avons pas eu cette impression de prison bétonnée qui peut être ressentie parfois dans certaines villes.

Gibb's Hill Lighthouse, un des 1er phares à avoir été construit en fonte (1844)
Optique Fresnel du phare en gros plan, après avoir grimpé les 185 marches !!

Belle vue de l'archipel après l'orage
Les petits îlots qui font le charme des Bermudes

Tout est propre et net. Les constructions ne sont pas hautes, aucun bâtiment ne pouvant être plus élevé que le clocher de la cathédrale anglicane d'Hamilton. Beaucoup de petites maisons sont éparpillées sur l'île avec bien sûr une plus grosse concentration sur Hamilton. Mais toutes ces habitations aux couleurs très vives sont parfaitement entretenues. Les jardins sont taillés méticuleusement. Les toits en chaux, nettoyés régulièrement, permettent aux Bermudiens de récupérer l'eau de pluie. Car sur cette île, seuls deux dessalinisateurs existent. Le respect de l'eau et son utilisation intelligente sont une évidence pour les habitants.












Toits en chaux

Taran, l'ami de Pierre et sa femme Nataly nous ont également accueillis chez eux. Nous avons passé de longs et bons moments ensemble. Cela nous a bien confirmé la gentillesse des locaux et la qualité de vie qui peut exister dans un tel endroit.
En tant que voyageurs, nous n'aurions cependant pas pu rester trop longtemps. La vie est très chère, davantage qu'aux Caraïbes. Même les loyers atteignent des sommets. Ils sont plus élevés que dans certaines capitales européennes. Quant à devenir propriétaire, il vaut mieux s'armer de patience et aimer vivre dans un deux pièces.

Au final, nous ne regrettons absolument pas le choix fait de dévier la route d'Avocet de quelques miles pour les Bermudes. Nous avons adoré le côté unique de cette endroit. Aucune des escales faites auparavant ne nous a procuré le même sentiment que celle-ci. C'est un mélange de culture américaine et anglaise assez surprenant. De plus, peu de bateaux s'arrêtent (en proportion plus d'Américains que d'Européens). Le mouillage de Saint-George est idyllique et très bien protégé. Le seul bémol est finalement le coût de la vie. Heureusement, nous avions fait l'avitaillement aux Caraïbes et la veille de traverser l'Atlantique, nous avions juste besoin de nous procurer un peu de frais.

C'est ainsi que la page des Amériques s'est tournée pour Avocet. Après étude de la météo, il était temps de remettre les voiles pour les Açores.

lundi 2 juin 2014

Cap à tribord

Les derniers miles dans la mer des Caraïbes nous ont emmenés vers Antigua, Sint-Maarten et Saint-Martin. 
Ces îles restent sympathiques à découvrir même si l'entrée sur le territoire de chacune d'entre elles est un budget.
Antigua a été notre coup de coeur. Malheureusement, le guindeau fièrement réparé par le Cap'tain quelques jours auparavant a rendu son âme à Falmouth Harbour lors de notre première manoeuvre de mouillage.
Après plus d'un mois à chercher une solution pour cette pièce affaiblie, la question ne se posait plus. Il nous en fallait un neuf.
Du coup, notre escale s'est écourtée malgré nous, le seul endroit pour réparer correctement étant Saint-Martin à 90 miles de là. Nous avons donc fait la clearance d'entrée et de sortie à Antigua le même jour.
Et là !… quelle ne fût pas notre surprise ?!
Alors que la saison touristique touche à sa fin dans les Antilles et que le flot de vacanciers et de bateaux charters s'amenuisent, les customs voient peu d'équipages dans leurs bureaux à cette époque de l'année. Et nous avons eu la chance de tomber nez à nez avec Antoine, le joyeux chanteur/vagabond des mers effectuant un convoyage dans les Antilles.
La probabilité pour que cela arrive était infime et pourtant… Nous avons ses livres à bord, et, le souvenir des premières VHS avec ses récits exotiques est encore très présent dans ma mémoire. Cela a même peut-être été le germe nourricier de mon goût pour le voyage marin. En y réfléchissant, ces réminiscences du passé constituent sans doute mes premiers émois d'aventurière, mes premiers rêves de lagons et de découvertes du bout du monde.
Tant d'émotions se sont bousculées qu'il m'a été presque impossible d'engager une discussion intelligente (ou du moins que j'aurais pu qualifier de pertinente sur le moment…).
Même le Cap'tain est (presque) resté sans voix.
Nous avons cependant eu quelques échanges au milieu de ces fonctionnaires antiguais  très serviables mais plutôt lents et contraints de remplir des liasses de documents qui finiront dans des cartons oubliés d'ici peu. Cette rencontre avec Antoine a illuminé notre journée et le problème du guindeau est passé aux oubliettes pour quelques heures et nous a permis de profiter sereinement de cette courte escale.

L'entrée d'English Harbor à Antigua

Ses anciennes maisons préservées ...

... et reconverties pour la plupart !

Vestiges de la marine anglaise ...

... très bien conservés !

Accueil toujours sympathique


Mais l'équipage n'a pas le temps de s'attarder car la période cyclonique approche à grand pas et il nous faut absolument réparer notre système de mouillage.
C'est le coeur un peu gonflé que nous sommes remontés vers Saint-Martin en laissant Barbuda, Saba et Statia sur bâbord, trois îles que nous aurions bien pris le temps de visiter dans d'autres conditions.

Et puis… l'état d'esprit de l'équipage avait également changé.
Après presque 1,5 an de voyage, les Antilles ont été le berceau de nombreuses réflexions quant au futur.
Fallait-il tourner la barre à bâbord ou à tribord après les Caraïbes ?
Plusieurs sentiments et pensées nous ont assaillis ces deux derniers mois et la décision n'a pas été facile à prendre. Entre les moments de stress, les périodes de mauvais temps ou au contraire de grands calmes, le bricolage incessant, l'argent qui file, le confort sommaire, la famille à distance, et, à l'opposé, les découvertes fabuleuses et uniques, les expériences partagées avec les autres équipages, le sentiment latent de liberté, les situations insolites, les rencontres humaines et culturelles... la balance avait du mal à pencher d'un côté ou de l'autre !!
Chacune des décisions comportait son lot d'avantages et son revers d'inconvénients.
Continuer vers le Pacifique et enfin découvrir ces atolls et ces cultures lointaines admirés sur papier glacé ou tourner la page "Avocet" et ramener notre fidèle destrier en France via une transat retour par le Nord.

Nous écrivons ce post depuis la mer des Sargasses... encore 24 heures et nous serons au royaume des culottes courtes, à savoir les îles des Bermudes (Bermuda Islands).
Vous l'aurez compris, les longues réflexions nous ont finalement poussés vers la droite. Le voyage a désormais une date de fin.
L'équipage devrait se poser au mois de septembre sur la côte marseillaise pour démarrer une nouvelle vie. Mais l'aventure Avocet n'est pas encore terminée, les mois restant à courir sont encore prometteurs et nous amènent vers de nouveaux horizons. Après les Bermudes que nous avons hâte de découvrir, une transat de 1600 miles seulement nous séparera des Açores avant d'atteindre Gibraltar et la Méditerranée d'ici un mois et demi.


Et une belle coryphène au bout de l'hameçon !

Aujourd'hui, les Antilles sont derrière nous. Les souvenirs d'1,5 an de voyage ressurgissent un par un et nous réalisons pleinement la chance que représente cette interlude marine dans nos vies.